Source : La Presse, 20 octobre 2023
Par Louise Leduc
Manque de confiance en elles, puberté, peur du jugement des autres (des garçons de la classe, notamment), préoccupations à l’égard de leur poids ou de leur apparence, activités physiques proposées pas à leur goût : tels sont quelques-uns des obstacles qui amènent les adolescentes à rester trop sédentaires.
C’est ce que le programme Fillactive cherche à corriger en offrant un accompagnement aux écoles qui accueillent des filles de 12 à 17 ans (moyennant 400 $ par établissement).
L’inactivité n’a rien à voir avec la paresse, insiste Geneviève Leduc, conseillère principale aux programmes chez Fillactive, mais tout à voir avec la réalité des adolescentes.
Avec l’arrivée des menstruations viennent souvent des maux de ventre, mais pas uniquement, note Geneviève Leduc.
On demande à une fille de s’investir dans son activité physique, sans penser que ce à quoi elle est peut-être en train de penser, quand on lui demande de sauter sur place, c’est qu’elle sent un écoulement [menstruel] qui l’incommode. – Geneviève Leduc, conseillère principale aux programmes chez Fillactive
La piscine obligatoire pour toute la classe, sans autres options, ce n’est pas non plus dans la philosophie de Fillactive, relève Mme Leduc.
Les filles sont aussi souvent mal à l’aise avec leur pilosité nouvelle ou avec leurs seins dans le contexte de la pratique sportive. Petit conseil ici aux parents : un soutien-gorge sportif, c’est un bon achat pour l’ado de la maison, souligne Geneviève Leduc.
Les parents doivent aussi s’assurer que leurs filles commencent jeunes à pratiquer différents sports « pour qu’elles n’aient pas de déficit d’habiletés ».
Les enseignants d’éducation physique savent depuis belle lurette qu’il ne faut pas laisser les enfants choisir leurs équipiers pour éviter que les moins forts soient humiliés en étant choisis les derniers.
Il reste que faute d’avoir été encouragées autant que les garçons à faire du sport dans l’enfance, « un grand nombre de filles manquent d’habiletés sportives, et cela mine leur confiance en elles », note Mme Leduc.
Plus d’obstacles
Certains obstacles ont aussi trait à la sécurité, que les craintes viennent des parents ou des adolescentes elles-mêmes. Le vestiaire est-il désert, au milieu de nulle part dans l’école ? Et pour les activités physiques faites en dehors des heures de cours – car tel est le but ultime, que les filles fassent du sport par plaisir –, « la piste cyclable est-elle assez éclairée » pour se rendre à la salle de sport ou à la piscine municipale ?
Sans généraliser à outrance, Mme Leduc souligne aussi que les filles, contrairement aux garçons, aiment bien se rafraîchir minimalement après une activité physique. Les écoles n’ont souvent pas assez de vestiaires pour qu’une douche soit prise, mais les filles veulent minimalement pouvoir se faire une petite toilette de chat, avoir du temps pour se recoiffer un peu (les garçons, avec leurs cheveux souvent courts, ont moins à composer avec cet enjeu).
« Les adolescentes renoncent souvent à faire des activités le midi par manque de temps pour se rafraîchir » avant de retourner en classe.
Mais surtout, encore faut-il proposer aux filles des activités qui leur plaisent, et pas seulement des sports d’équipe « avec un but d’un côté, un but de l’autre et des lignes sur le côté », illustre Mme Leduc.
Pas toutes – certaines adolescentes adorent se battre pour obtenir un ballon –, mais en général, les filles aiment moins la compétition, l’activité chronométrée, poursuit-elle.
Ce qu’elles aiment de façon générale ?
Les adolescentes suivent de près les tendances, les nouvelles activités, la Zumba ou le yoga, par exemple. – Marie-Ève Mathieu, professeure agrégée à l’École de kinésiologie et des sciences de l’activité physique de l’Université de Montréal, qui a passé cinq ans à étudier l’utilité du programme Fillactive
Le plein air, aussi : faire du jogging en groupe sans la pression d’un chronomètre, gravir une montagne, faire des courses à obstacles sont des activités qui plaisent aux adolescentes.
L’utilité du programme confirmée
Aux fins de son étude, la professeure Marie-Ève Mathieu a suivi 3584 filles appuyées par Fillactive. Celles qui fréquentent des écoles souscrivant au programme sont-elles plus actives ? Leurs autres habitudes de vie – le sommeil, la nutrition – s’en trouvent-elles aussi améliorées par ricochet ?
L’étude de Mme Mathieu conclut que oui. Parmi les filles inactives au début du programme Fillactive, 32 % ont augmenté leur niveau d’activité physique.
Et si tel n’était pas le but recherché directement, plus cela faisait d’années qu’elles suivaient le programme, plus le sommeil des adolescentes s’était amélioré.
« Et entre le début et la fin de l’année scolaire, on observe que les filles mangeaient moins de sucreries », indique Mme Mathieu.
Au surplus, les responsables scolaires ont observé que les élèves dans le programme Fillactive avaient beaucoup plus confiance en elles, avaient amélioré leurs habiletés physiques et étaient plus participatives.
Si bien que Mme Mathieu relève que les garçons inactifs – qui sont eux aussi très nombreux – tireraient aussi profit d’un programme conçu sur mesure pour eux.
Mme Mathieu trouve par ailleurs regrettable que très souvent, les jeunes – filles et garçons – soient appelés très tôt à se spécialiser dans un seul sport.
Au lieu d’avoir un club qui offre à la fois du plongeon, de la natation et du water-polo, on demandera à un enfant de 10 ans de choisir exclusivement le plongeon. – Geneviève Leduc, conseillère principale aux programmes chez Fillactive
« Les filles aussi font souvent du patinage artistique ou de la gymnastique pendant l’enfance. Or, si elles grandissent beaucoup, cela les amène souvent à abandonner ces sports – notamment la gymnastique. »
Et après des années de pratique intensive, voilà qu’à l’adolescence, n’ayant pas été exposées à d’autres sports, le risque que les filles deviennent inactives est augmenté.
1. Répercussions durables de la pandémie de COVID-19 sur l’activité physique et le temps passé devant un écran chez les jeunes Canadiens, Statistique Canada, octobre 2023.
2. Le signal de ralliement, Femmes et sport au Canada (2020).