L’obésité est-elle une maladie?

15 mai 2025

Source : UdeMNouvelles du 13 mai 2025 par Mylène Tremblay

Des spécialistes de différents horizons se sont rassemblés pour discuter de l’obésité, un problème de santé publique souvent mal compris et entouré de préjugés.

L’obésité ne se résume ni à un chiffre sur la balance ni à un manque de volonté. Elle découle plutôt de multiples facteurs. Tel est le message qu’ont fait valoir les panélistes réunis sous la direction du Dr Rémi Rabasa-Lhoret, professeur titulaire au Département de nutrition de l’Université de Montréal, à l’occasion d’un symposium sur la santé cardiométabolique. Ensemble, ils ont déconstruit plusieurs idées reçues et rappelé la complexité de ce problème de santé.

Toutes et tous ont ainsi souligné l’urgence de dépasser les perceptions réductrices – «L’obésité est un problème d’esthétique» – et culpabilisantes – «Les personnes en surpoids ne font pas attention» – pour adopter un regard plus juste, fondé sur la science, l’empathie et la reconnaissance des trajectoires individuelles.

Cette reconnaissance passe notamment par un changement de statut: considérer l’obésité comme un problème de santé. «L’obésité a été définie récemment par un groupe d’experts comme une maladie à part entière et non plus seulement comme un facteur de risque pour d’autres troubles. Elle devient une maladie dès qu’elle entraîne des conséquences cliniques, qu’elles soient mécaniques, comme des douleurs aux genoux ou aux hanches, ou métaboliques, comme le diabète ou les maladies cardiovasculaires», a tenu à préciser le Dr Rabasa-Lhoret.

Pour Benoît Arsenault, professeur agrégé au Département de médecine de l’Université Laval et chercheur au Centre de recherche de l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec, il est urgent que le gouvernement reconnaisse l’obésité comme une maladie multifactorielle (influencée par la génétique, le métabolisme, les hormones, l’environnement, la santé mentale) afin de permettre un meilleur accès aux soins. Or «l’obésité demeure l’une des seules formes de discrimination socialement acceptées», a-t-il déploré.

Un témoignage qui frappe

Karine Taché

Le témoignage de Karine Taché, qui vit avec l’obésité depuis 40 ans, a marqué les esprits. Avec une franchise bouleversante, elle a raconté son parcours jalonné de préjugés et de souffrance: automutilation, perte massive de poids, chirurgie bariatrique, consultations médicales frustrantes. En prenant du poids, elle a commencé à recevoir l’attention qu’elle disait rechercher, mais une attention négative marquée par la stigmatisation. Du même souffle, elle a dénoncé la grossophobie médicale: «On ne m’a jamais traitée comme une personne, mais comme une “grosse”», a-t-elle dit, la gorge nouée.

Elle a aussi expliqué que son obésité n’est pas la conséquence d’un manque de volonté ni d’une prise alimentaire démesurée – elle mange avant tout pour calmer ses émotions, une réalité rarement prise en compte. Son message a résonné dans la salle. Les panélistes ont salué son courage et les membres du public l’ont chaudement applaudie. Pour plusieurs, son intervention a rappelé l’urgence de repenser la façon dont l’obésité est abordée dans le système de santé.

Une prise en charge propre à chacun

Le témoignage de Karine Taché a ainsi montré qu’il n’existe pas de parcours unique. Les panélistes ont insisté sur l’importance d’une approche personnalisée, adaptée à la réalité de chacun.

Pour la Dre Géraldine Layani, professeure adjointe de clinique au Département de médecine de famille et de médecine d’urgence de l’Université de Montréal et chercheuse au Centre de recherche du CHUM, il est temps d’abandonner les modèles standards. «Comme médecins de famille, on est d’abord experts de la personne, pas de la maladie. Traiter l’obésité, c’est d’abord chercher à comprendre d’où part la personne, ce qu’elle a vécu et ce qui l’affecte: santé mentale, stigmatisation, facteurs métaboliques, contexte social, accès aux soins», a-t-elle indiqué. Selon elle, des traitements comme l’Ozempic peuvent être utiles, mais seulement après qu’un portrait global du patient a été fait: «Il faut explorer toutes les dimensions avant de conclure qu’un traitement est le bon choix», a-t-elle ajouté.

La Dre Amélie Gravel, chargée d’enseignement de clinique au Département de médecine de l’Université et interniste gériatre affiliée au Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, a mis en garde contre une approche simpliste, surtout chez les aînés: «On ne peut pas viser la perte de poids à tout prix. Chez plusieurs personnes âgées, la priorité est de préserver la masse musculaire et la capacité de fonctionner au quotidien. Car une perte de poids non encadrée peut aggraver la sarcopénie et réduire l’autonomie.»

Marie-Ève Mathieu, professeure titulaire à l’École de kinésiologie et des sciences de l’activité physique de l’UdeM et chercheuse au Centre de recherche Azrieli du CHU Sainte-Justine, a mentionné quant à elle que l’activité physique est un levier sous-estimé: «On gagne à bouger, peu importe ce que la balance indique. L’exercice améliore la santé cardiovasculaire, la qualité de vie, l’humeur, même sans perte de poids.»

Changer les mentalités, réinventer les soins

Ekat Kritikou

Ce panel s’inscrivait dans une démarche plus large de transformation portée par la Faculté de médecine de l’Université de Montréal. L’objectif: former une relève plus sensible aux questions de stigmatisation, d’interdisciplinarité et de partenariat avec les patients.

«Ce symposium est une première étape dans une réflexion sur l’enseignement de la médecine et des professions de la santé à l’UdeM, a expliqué Ekat Kritikou, vice-doyenne à la recherche et au développement à la Faculté de médecine et instigatrice de la rencontre. Nous voulons repenser la formation, mais aussi la recherche, les soins et notre manière d’interagir avec les patients. Ces derniers vivent 24 heures sur 24 avec leur maladie: ils sont eux aussi des experts de leur état de santé. Comme communauté, nous avons une responsabilité pour faire avancer les choses.».

Voyez le panel en rattrapage.