Source : La Presse, 15 juillet 2025, par Philippe Mercure
Photos fournies par Laurent Proulx
Le 6 juin dernier, Laurent Proulx a plongé la roue arrière de son vélo dans l’océan Pacifique, en Colombie-Britannique. Trente-deux jours plus tard, l’homme de 64 ans trempait la roue avant de sa monture dans l’Atlantique, à Terre-Neuve, complétant une incroyable traversée du Canada.
Un exploit personnel. Une revanche contre le cancer. Une activité de collecte de fonds, une campagne de sensibilisation, un projet scientifique : cette aventure, c’est tout cela à la fois.
J’ai joint M. Proulx au téléphone à Terre-Neuve, le lendemain de son arrivée.
« C’est… c’est tout un feeling », m’a-t-il dit. Sa voix a flanché au mot « feeling ».
« C’est l’émotion, excusez-moi. Je ne contrôle plus ça ben, ben », lance-t-il.
Je lui fais remarquer qu’il doit être fourbu après avoir pédalé plus de 200 km par jour sans interruption.

À son départ, à Vancouver, Laurent Proulx a trempé la roue arrière de son vélo dans l’océan Pacifique.
« Non, non, absolument pas, assure-t-il. Les gens me disent de me reposer, mais je suis en forme. J’ai un petit doigt engourdi et un tendon d’Achille irrité, mais sinon, je n’ai mal nulle part. Je pourrais repartir demain pour un autre 200 km ! »
Des sportifs qui repoussent les limites, il y en a plusieurs. Si je vous parle de cette aventure, c’est qu’elle se distingue tant par ses objectifs que par son volet scientifique.
Laurent Proulx a été atteint d’un cancer de la prostate à 48 ans. Il est aujourd’hui PDG de Procure, un organisme de bienfaisance dans la lutte contre ce cancer.
Sa traversée du Canada s’inscrit dans ce cadre. Chaque jour de vélo sur la route, il l’a dédié à un homme ayant été frappé par un cancer de la prostate. La liste compte Régis Labeaume, Alain Lemaire, Richard Martineau et Karl Blackburn.
« L’idée était de vendre chacune des journées. Une entreprise devait s’engager à verser 10 000 $ par année pendant trois ans pour une des journées de mon défi », explique-t-il.
Les journées ne se sont pas toutes vendues, mais Laurent Proulx a néanmoins amassé 535 000 $. Cet argent sera versé pour la recherche sur le cancer de la prostate.
« Le deuxième volet, c’est la sensibilisation. En associant chaque journée à un homme, j’expliquais par une publication Instagram quels défis il avait vécus avec le cancer de la prostate », explique-t-il.
Il y a finalement l’aspect scientifique. La science bénéficiera de cette aventure par les fonds consacrés à la recherche. Déjà, un projet visant à étudier comment la condition physique influence le succès d’un traitement comme la radiothérapie ou la chimiothérapie est dans les cartons.
Mais de la science, il s’en est aussi fait avant que Laurent Proulx ne monte sur son vélo. Sa préparation a mobilisé un escadron de professionnels de l’École de kinésiologie et des sciences de l’activité physique de l’Université de Montréal.
Préparation physique, préparation mentale, nutrition : ces spécialistes ont élaboré un plan d’un an destiné à amener Laurent Proulx à un niveau suffisant pour qu’il réussisse son défi.
Raynald Bergeron, professeur à l’École de kinésiologie de l’Université de Montréal, a fait figure de chef d’orchestre du projet.
« Pour nous, l’intérêt est multifactoriel, explique-t-il. C’était pas mal intéressant d’en profiter pour exposer nos étudiants à ce type de clientèle – pas un champion olympique, mais quand même un athlète de haut niveau. Il ne faut pas se cacher qu’il y a aussi un aspect de rayonnement pour nous. On veut faire connaître l’École de kinésiologie. Le fait que l’argent récolté soit attribué à des projets de recherche nous a aussi interpellés. »

Laurent Proulx ne partait pas de zéro, loin de là. Ce triathlonien a complété un Ironman un an à peine après son opération pour son cancer. Mais pédaler plus de 200 km par jour pendant 32 jours dans les reliefs accidentés du Canada représentait quand même un défi considérable.
Considérant son âge et son passé de survivant du cancer de la prostate, c’est quand même assez phénoménal, ce qu’il vient d’accomplir.
Raynald Bergeron, professeur à l’École de kinésiologie de l’Université de Montréal
Les spécialistes ont élaboré un programme d’entraînement qui a fait augmenter tant la capacité pulmonaire et la masse musculaire que l’endurance de Laurent Proulx. La préparation comprenait un aspect étonnant à mes yeux : apprendre au système digestif du cycliste à fonctionner pendant l’exercice.
« Dans la nature, même quand tu regardes les animaux, ils ne font pas d’activité physique pendant qu’ils mangent », fait observer le chercheur. Laurent Proulx, lui, devait combiner les deux pour s’assurer d’ingérer assez de calories pendant son épreuve. « Il a fallu entraîner son système digestif à ça », explique le professeur Bergeron.
Laurent Proulx se dit « extrêmement reconnaissant » d’avoir pu compter sur l’appui des chercheurs et étudiants de l’Université de Montréal, mais aussi sur celui de ses proches. Ceux-ci l’ont suivi en véhicule récréatif et s’occupaient de toute la logistique, lui permettant de se concentrer sur une seule chose : pédaler.
Le cycliste raconte que sa première journée, qui l’a mené de Vancouver à la Sunshine Valley, en Colombie-Britannique, s’est si bien déroulée qu’il a cru un moment que le défi serait facile.
« Le lendemain, j’ai eu un reality check, dit-il. Il y avait de la chaleur, du vent de face, de la montée. »
Ce n’est pourtant pas la traversée des Rocheuses qu’il a trouvée la plus éprouvante, mais celle des Prairies.
« Ça a été dur : du vent de face pendant quatre jours avec des bourrasques, raconte-t-il. Le vent rentrait dans mon vélo et le faisait bouger… ça a été la partie la plus difficile en termes d’efforts. »

Laurent Proulx a trempé sa roue avant dans l’océan Atlantique, à Terre-Neuve, au terme de son parcours.
Sinon il y a eu une chute, quelques crevaisons (dont une qui a percé jusqu’à la jante de sa roue), la rencontre d’un ours sur la route, le véhicule récréatif d’accompagnement qui s’est retrouvé par inadvertance sur une piste cyclable…
« Je suis vraiment chanceux. Vraiment chanceux, dit toutefois Laurent Proulx. J’ai été tellement bien préparé, tellement bien soutenu… J’ai beaucoup de monde à remercier. »
