Source : L’actualité, 15 juillet 2025, par Catherine Pelchat
Des influenceurs font la promotion de techniques comme le mewing ou le bone smashing pour avoir une apparence séduisante, dont une mâchoire plus carrée. Si certains conseils sont inoffensifs, d’autres s’avèrent dangereux pour la santé.
Sur les réseaux sociaux pullulent des vidéos d’hommes et d’adolescents, vues des millions de fois, qui enjoignent à leurs auditeurs de suivre leurs précieux conseils pour, comme eux, présenter un physique « viril ». Rien là de bien neuf, la mode du culturisme ne datant pas d’hier. Mais connaissez-vous le mewing et le bone smashing ? Bienvenue dans l’univers (à la terminologie anglophone) du looksmaxxing, l’amélioration de son apparence, porté par des influenceurs flirtant avec les thèses masculinistes, qui bombardent les adolescents et les jeunes adultes de tutoriels visant à maîtriser ces nouvelles techniques de modification de leur physique.
« Do you move through life like a predator? » [as-tu l’attitude d’un prédateur ?], demande l’un d’entre eux, Marcel Stam, à ses admirateurs. Les techniques que recommandent les gourous du looksmaxxing visent à acquérir les traits stéréotypés d’un mâle dominant : masse musculaire hypertrophiée, grande taille, mâchoire carrée et proéminente, joues découpées, regard confiant.
Un des principaux atouts du looksmaxxing : il promet des résultats notables, qu’on peut obtenir par soi-même. Or, les pratiques enseignées peuvent au mieux ne rien changer, mais aussi avoir des conséquences néfastes sur la santé.
Le succès du looksmaxxing ne surprend pas Mickaël Carlier, fondateur de l’organisme Des hommes qui changent, qui promeut une masculinité saine. « Dans l’univers masculiniste, pour réussir dans la vie économiquement, et sexuellement, auprès des femmes, il faut jouer un rôle : l’homme fort, invulnérable, pourvoyeur, dominant. » Ce courant le préoccupe toutefois, car il contribue à la crise qui touche présentement la masculinité. « Les hommes cherchent comment être bien vus dans la société et par les femmes. Ces influenceurs offrent une solution superficielle qui répond à des codes, mais sans introspection, sans connexion à nos propres valeurs, nos besoins, nos émotions. »
Un visage plus viril : bone smashing, mewing et yeux de prédateur
Pour modifier le visage, les techniques abondent. Parmi celles-ci, la plus frappante (et dangereuse) est sans doute le bone smashing. Afin de remodeler les os de la mâchoire et des pommettes pour les rendre plus proéminents et arborer un visage carré et découpé, certains influenceurs préconisent de frapper modérément, à répétition, ces os avec un objet dur pendant plusieurs minutes chaque jour.
Cette technique a un fondement scientifique, prétendent certains influenceurs. Elle s’inspire en effet de la loi de Wolff, un véritable phénomène biologique, explique la Dre Christina Bernier, chirurgienne plastique au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) et en clinique privée… mais n’a pas les mêmes résultats. « Si on applique une mise en charge sur un os, il devient plus résistant, plus épais. On le voit avec la course, par exemple, qui renforce les tibias. Mais ça n’a rien à voir avec le bone smashing, qui consiste en de petits coups externes et n’aura pas cet effet sur la structure de l’os. »
Elle met en garde ceux qui seraient tentés de l’essayer : « Frapper sur les ligaments et les nerfs peut causer des dommages permanents, par exemple une raideur qui leur nuira pour manger ou une déformation qui peut survenir quand un gros hématome fait fondre la graisse qui l’entoure et que celle-ci ne se reforme pas une fois le sang résorbé. Ce ne sont certainement pas les effets qu’ils recherchent. »
Dans les vidéos, fait-elle remarquer, ceux qui le pratiquent ont souvent le visage un peu gonflé. « Ils ont probablement de l’œdème sous la peau, dans les petits muscles. Ils peuvent aussi avoir de petites cicatrices sous la peau, des accumulations de sang. »
Plus doux, le mewing se décline en plusieurs techniques qui promettent aussi une mâchoire plus avancée et carrée. L’une d’elles vise à remodeler la mâchoire, par des exercices quotidiens qui feraient travailler sa musculature. D’autres méthodes consistent à exercer une pression sur les os avec les pouces, ou à mordre dans de petits coussins de mousse, pour « renforcer » les muscles de la mâchoire et modifier à la longue son positionnement.
La Dre Christina Bernier déconseille ces techniques, tout particulièrement aux ados. « Ils sont encore en croissance et pourraient avoir des problèmes au niveau du palais et de la dentition. » Les coussins de mousse, utilisés de longues heures par jour, pourraient entraîner une légère augmentation du volume du muscle qui aide à la mastication, mais au prix d’une usure des dents.
Les influenceurs qui font la promotion de ces coussins de mousse renvoient à des sites où il est possible de se les procurer et de découvrir au passage une foule de gadgets tout aussi douteux. Mickaël Carlier rappelle que le but de toutes ces vidéos est bien souvent la vente de produits.
Plus inoffensives, d’autres vidéos visent l’obtention d’un regard « viril », par exemple en travaillant son regard pour avoir l’air d’un « chasseur ». D’autres recommandent de se faire raccourcir ou raser les cils (de longs cils étant jugés trop féminins), ce que le Dr Samir Jabbour, ophtalmologiste au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM), déconseille fortement. « Du point de vue médical, les cils jouent un rôle essentiel de protection de l’œil, formant une barrière naturelle contre la poussière, les débris et les allergènes. Les raser élimine cette première ligne de défense, ce qui augmente le risque d’irritation, de sécheresse oculaire ou d’infection. » Le rasage lui-même pose également des risques. « La peau des paupières est très fine et sensible, poursuit l’expert. Un coup de rasoir mal maîtrisé peut causer des microcoupures ou des abrasions, et les fragments de cils coupés peuvent tomber dans l’œil et provoquer une sensation de corps étranger, ou même une kératite si la cornée est irritée ou égratignée. »
La quête d’un corps plus « masculin »
Sous le mot-clic #gymmaxxing et tous ses dérivés orthographiques, on retrouve une infinité de pratiques visant à maximiser, comme le nom l’indique, les effets des séances au gym pour gagner des muscles plus gros et mieux définis. Nombre d’entre elles impliquent l’augmentation du taux de testostérone. Elles sont réunies sous le nom de, vous l’aurez peut-être deviné, testosterone maxxing.
Raynald Bergeron, professeur à l’École de kinésiologie et des sciences de l’activité physique de l’Université de Montréal, est un expert des substances qui favorisent le gain de volume musculaire. « La testostérone stimule la prise de masse musculaire. Des produits ont donc été mis au point, comme les fameux stéroïdes androgènes anabolisants, pour fournir un apport de testostérone. Mais ils ont d’importants effets secondaires chez l’homme : acné, insomnie, atrophie des testicules et baisse de la libido, ou d’autres plus graves au cœur et au foie. Des entreprises tentent donc de créer de nouveaux composés qui limitent ces effets secondaires. »
Ces composés, les MSRA, pour modulateurs sélectifs des récepteurs androgéniques (SARM en anglais, pour selective androgen receptor modulators), n’ont toutefois pas dépassé le stade du développement clinique, surtout en raison d’importants effets secondaires. Ils sont donc produits clandestinement, souvent par le crime organisé, sans contrôle de la qualité, poursuit l’expert. On ignore par conséquent leur niveau de toxicité. « Les jeunes qui achètent ces produits sur Internet, ou d’un gars au gym, jouent vraiment avec leur santé. »
Ils sont nombreux, comme l’influenceur Marcel Stam, à avancer qu’il est crucial pour les hommes d’augmenter leur taux de testostérone, pour supplanter dans leur corps les œstrogènes, les hormones féminines. Rien ne tient la route dans cette théorie, souligne Raynald Bergeron : « Un des enzymes qui dégradent la testostérone dans notre corps mène à la formation d’œstrogènes. Donc, un homme qui s’injecte beaucoup de testostérone verra aussi son taux d’œstrogène augmenter ! » C’est ce qui explique un autre effet secondaire de la prise de testostérone, la gynécomastie, soit l’apparition de seins chez les hommes.
Autre tendance extrême : se faire allonger les jambes pour être plus grand. Cette intervention chirurgicale majeure est interdite au Québec depuis 2024. La Dre Christina Bernier déconseille vivement de la faire faire à l’étranger, puisqu’elle peut vraiment mal tourner si les complications, par exemple une infection de l’os, ne sont pas traitées à temps.
Changer son corps sans souffrir
Il est parfaitement légitime de vouloir améliorer son apparence, pour les hommes comme pour les femmes, croient nos experts, mais des méthodes plus saines et plus simples existent.
En clinique privée, la Dre Christina Bernier voit beaucoup d’hommes qui veulent remodeler leur mâchoire et leurs pommettes. « Il s’agit de la principale raison pour laquelle les hommes reçoivent des injections, et c’est très sécuritaire. »
Pour avoir de plus gros muscles, la recette est simple, explique le kinésiologue Raynald Bergeron : l’entraînement, donc la contraction musculaire, et une diète normale, basée sur les recommandations du Guide alimentaire canadien.
Et la petite boisson protéinée postentraînement, très tendance ? « Pour la majorité des gens, un apport de 0,8 g de protéines par kilogramme de poids du corps est recommandé. Ceux qui s’entraînent beaucoup et qui veulent maximiser leur gain de masse musculaire peuvent augmenter cette quantité jusqu’au double. Au-delà, il n’y a pas de bienfait, il y a un effet de saturation. »
Pour augmenter cet apport en protéines, de nombreuses poudres à mélanger à une base liquide sont en vente libre. Raynald Bergeron les déconseille. Même dans les commerces reconnus, des traces de stéroïdes non déclarés y ont été trouvées. Recommandation de l’expert : un simple lait au chocolat, qui fournira les protéines et les glucides nécessaires à la récupération et au gain de masse musculaire !