Cinquante pianistes dans un laboratoire

19 avril 2021

Source : udem Nouvelles, 19 avril 2021, par Mathieu-Robert Sauvé

Une équipe de chercheurs en kinésiologie et en musique scrute la performance de pianistes pour connaître les effets de la fatigue musculaire.

Les pianistes devaient par exemple répéter une séquence de 16 notes de la main droite dans la première série d’expériences.

Des chercheurs de l’Université de Montréal ont observé l’activité des muscles de l’avant-bras de 50 pianistes jouant des extraits musicaux à répétition afin de documenter les risques de blessures dues à la fatigue musculaire. «Nous avons découvert que ce sont les muscles extenseurs qui sont les plus menacés lorsque les pianistes effectuent des gestes de grande précision», explique le chercheur principal, Fabien Dal Maso, professeur adjoint à l’École de kinésiologie et des sciences de l’activité physique (EKSAP) de l’Université de Montréal, à l’occasion de la publication des résultats de l’étude dans Scientific Reports.

C’est la première fois qu’on étudiait autant de pianistes accomplis – hommes comme femmes de différents âges dont la plupart étaient étudiants ou diplômés de la Faculté de musique de l’UdeM – afin de mesurer spécifiquement la fatigue musculaire. Chaque sujet de recherche était relié à un imposant dispositif électronique comptant une cinquantaine de capteurs pour enregistrer l’activité des muscles de l’avant-bras et des éléments comme la vitesse d’attaque, le rythme et le tempo. Tous les participants et participantes passaient environ 90 minutes sous l’œil de l’équipe de recherche.

«Les pianistes ont très souvent des problèmes musculosquelettiques. Dans les pires cas, ils souffrent de tendinites très difficiles à traiter. Certains doivent prendre des pauses de plusieurs semaines afin de soigner leurs blessures», commente le pianiste Felipe Verdugo, qui a fait un doctorat en interprétation, puis un postdoctorat en kinésiologie à l’UdeM avant de devenir chargé de cours à la Faculté de musique et professeur associé à l’EKSAP. En vertu de sa formation et de son expertise, il a participé aux travaux de l’équipe formée également des collègues de l’Université Étienne Goubault (postdoctorat), Justine Pelletier, Caroline Traube et Mickael Begon (Faculté de musique et EKSAP).

Athlètes en action

À raison de quatre à huit heures de piano par jour, de cinq à sept jours par semaine, le musicien qui aspire à une carrière de soliste est comme un athlète olympique qui prépare ses compétitions. «Les conditions expérimentales que nous avons créées dans le cadre de notre projet de recherche sont assez proches des conditions de répétition dans la vraie vie», mentionne le professeur Dal Maso.

Les pianistes devaient par exemple répéter une séquence de 16 notes de la main droite dans la première série d’expériences. Puis ils avaient à répéter des accords de la main droite avec une forte intensité sonore. Les séquences duraient de 1 à 12 minutes, selon le niveau de fatigue des musiciens et musiciennes.

C’est à l’analyse des résultats que l’équipe a découvert que les muscles extenseurs étaient les plus à risque. «C’est une surprise, car on s’attendait à ce que ce soit les muscles fléchisseurs qui soient les plus affectés étant donné qu’ils sont très sollicités. Cela nous permettra peut-être de proposer des mesures de prévention», dit le chercheur.

Des différences dans la performance musicale

Étienne Goubault, qui consacre son postdoctorat à ce sujet, souligne que la fatigue n’a pas qu’un effet dans le corps du musicien. Elle a des conséquences sur la qualité de la performance. «Nous avons mesuré trois paramètres: la précision des notes, l’intensité sonore et le rythme. Au terme de l’expérience, nous avons constaté que la fatigue se faisait surtout sentir sur l’intensité sonore et la précision des notes jouées», indique-t-il.

La fatigue altère donc la qualité musicale. Ce constat corrobore les résultats d’études menées précédemment auprès d’instrumentistes à vent. On avait aussi noté dans la littérature scientifique l’effet de la fatigue musculaire sur les performances de sportifs de haut niveau.

En conclusion, les auteurs écrivent que «la fatigue musculaire causée par les mouvements répétitifs au piano est possiblement un précurseur des blessures professionnelles». Ils désignent les muscles extenseurs des doigts et du poignet comme les plus exposés au risque par comparaison avec les muscles fléchisseurs. Enfin, ils signalent que «la fatigue musculaire développée par la répétition de modèles de mouvement affecte la performance musicale».